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Planche Xhoffraix - 149E0253 - 5020253

N°253 (I). Bouillenne, R et l'Abbé Ch. Dubois - Hautes Fagnes. Verviers, 1935, n°5, pp. 138-146.
(3 Figures)
Les Viviers de la Baraque Michel.

Il existe sur les versants du haut plateau de la Baraque Michel une quantité de levées de terre (argile et cailloux), ouvrages incontestablement humains, d'âge encore indéterminé et que l'un de nous, en 1930, a qualifiés de « Cités lacustres ». Elles se présentent sous forme de remparts approximativement circulaires, semi-circulaires (très rarement carrées ou rectangulaires), réunies en vastes groupes ou isolées, délimitant des surfaces variables : 22 x 29m, 30 x 26m, 34 x 32m, 60 x 40m, 300 x 100m.

Figure 1 :
Vue aérienne schématisée de la région des viviers explorée par M. le Professeur Bouillenne. Remarquer que les viviers se situent de part et d'autre de la route qui mène au Sabotier et qu'ils sont particulièrement nombreux dans le « V » que forment entre elles la route de la Baraque et celle à. Drossart.
Dans la perspective des Fagnes, ses inégalités de terrain peuvent passer inaperçues aux yeux de ceux qui ne sont pas habitués de longue date à la physionomie de la Fagne typique ; elles sont souvent recouvertes par la tourbe qui s'est constituée autour d'elles, aussi bien extérieurement qu'intérieurement. Souvent la trace apparente de ces énigmatiques levées de terre est surtout une végétation différente de cette Fagne environnante : Sarothamnus (?)coparius(genêt), Vaccinium Myrtillus (myrtillier), Vaccinium vittis idea (airelle), Vaccinium uliginosum (myrtillier des loups), Calluna vulgaris (bruyère), au lieu des associations du Sphagnetum que l'on trouve sur le sol d'alentour.
Ces levées de terre sont connues dans le pays sous le nom de « Viviers ». Ce nom leur vient, par assimilation, de l' »Ancien Vivier », rempart circulaire établi au centre de la région. Sur la carte marchande de Ferraris (1770) l'Ancien Vivier porte le signe (0), distinctif des houillères ; ce signe fait défaut sur la minute originale consultée à la Bibliothèque Royale de Bruxelles par Léon Fredericq. Cet Ancien Vivier est de facture beaucoup plus récente que les autres vestiges qui nous occupent et a été établi sur l'emplacement de l'un deux.
Depuis qu'on les a repérés, on a essayé d'expliquer le système de viviers par des hypothèses très diverses : abreuvoirs, viviers de pisciculture, canardières, cuves de lavage d'or, carrières, dépressions produites par effondrement du sous-sol, phénomènes volcaniques, etc.
Ces viviers existent en quantité considérable sur le territoire des Fagnes et s'étendent jusqu'aux environs d'Hattlich, de Conzen, de Lammersdorf. On en retrouve aussi, exactement de même facture, dans les fagnes de Malcahmps, de Berinsonne, de la Baraque Fraiture, à Bihain, aux Petites Tailles.
La description que nous avons faite correspond bien à celle que l'abbé Loes a données des « mardelles » en 1899.
Par « mardelles », on entend des excavations de 10 à 30 mètres de diamètre et même plus, aux contours arrondis, au fond vaseux provenant du long séjour des eaux de pluie ou d'infiltration.
Dans l'ancien duché de Luxembourg, elles sont particulièrement nombreuses sur les terrains du Jurassique, mais ne se retrouvent que sporadiquement dans l'Ardenne schisteuse. Feu l'abbé Colbus, curé d'Altrip (Lorraine), en a fouillé une trentaine ; il a dressé la carte de plus de 22.000 de ces enceintes ovales autour de Metz et dans la Lorraine.

L'abbé Loes en a repéré une centaine au pays d'Arlon, et l'un de nous une trentaine dans la région de Virton.
Sur le versant de la Fagne dite « Grande Fagne » et traversée par la route de Jalhay à la Baraque Michel, territoire d'environ 2 km 2, nous avons relevé une soixantaine de viviers s'étageant de la cote 570 à la cote 510. Plus bas que la cote 525, des sapinières des communes de Jalhay et de Sart en ont démoli ou défiguré un assez grand nombre, dont nous avons pu repérer les traces jusqu'à la cote 500. Ils sont rangés dans le sens de la pente, en séries plus ou moins parallèles.

Les viviers de chaque série étaient réunis entre eux par des sortes de canalisations qui conduisaient les eaux du vivier supérieur vers les viviers situés au-dessous ; dans la paroi de chaque vivier, on peut encore, très souvent, voir deux ouvertures : Une vers l'amont qui permettait l'entrée de l'eau et une vers l'aval qui en assurait la sortie ; la chose est trop générale pour qu'on puisse croire à des ruptures des remparts sous la pression de torrents d'eau dévalant des sommets à certaines époques.

En dehors de ces séries de viviers, on en voit d'autres, isolés dans les terrains avoisinant et généralement de dimensions plus réduites : 29 x 34m, 32 x 34m. C'est d'ailleurs dans l'un de ces viviers isolés, à peu près circulaire (sauf les deux échancrures) et très bien conservé que nous avons décidé de commencer les fouilles.

Nous devons à l'extrême obligeance du Colonel Masseaux, chef de service aéronautique de la place de Liège, d'avoir obtenu des photographies, prises par avion, de la région qui nous intéresse. Les vestiges des « Viviers » y sont très visibles.
De ces photographies, nous avons calqué le schéma de la dispersion des « Viviers » sur la « Grande Fagne » (voir figure 1).

Fouilles dans le Vivier Léon Fredericq.
Nous avons commencé les fouilles avec l'intention de rechercher tout d'abord, à l'intérieur d'une de ces enceintes artificielles, des débris quelconques de construction.
Ce vivier, don't les dimensions sont approximativement 32 x 34 m(Diamètre pris à l'intérieur de l'enceinte ; la largeur du rempart lui-même varie entre 12 et 14 mètres.)et dont l'enceinte extérieure ne dépasse guère d'un mètre le niveau du sol environnant, se trouve situé à quelque distance du groupe principal des viviers de ce district.
Cette excavation, comme toutes les autres, est remplie de tourbe. Il a donc fallu, après avoir enlevé la couche de végétation de surface, entamer très soigneusement la tourbe en évitant de couper avec les outils les vestiges de bois rencontrés ; tout, sauf le chêne et le hêtre, se laisse, dans la tourbe, couper avec la plus grande facilité.

Nous avons appelé ce vivier : Vivier Léon Fredericq, en hommage de reconnaissance pour le Président de la Station scientifique du Mont Rigi, le professeur Léon Fredericq.

Nous avons mis à jour :
1 : A 50 cm environ sous la surface actuelle du vivier, un premier niveau de troncs et de poutres reposant encore sur des pilotis. Ce niveau portait très nettement des traces d'incendie : certains arbres étaient à demi rongés par le feu. A ce même niveau, dans un coin de l'ensemble des ruines, nous avons trouvé un amas de cendres et de braises, entourées d'argile jaune à parcelles rouges, ayant aussi subi l'influence du feu.
Sous cette zone, une nouvelle couche de tourbe argileuse a été déblayée et on a découvert :
2 : A un deuxième niveau de troncs et de grosses branches, qui en certains endroits, formaient encore un clayonnage : sur ses débris nous avons aussi trouvé par places une mince couche d'argile grise.
Cette zone avait environ 30 cm d'épaisseur.
3 : Immédiatement en dessous, une couche, par endroits, très épaisse, 40-45 cm de débris jaune - brun de végétaux admirablement conservés noircissent immédiatement à l'air. A certains endroits, cette couche était presque entièrement constituée par un feutrage extrêmement serré de mousse.
4 : Une couche de limon argile - sableux gris - brun de 20-25 cm d'épaisseur, mélangé de feuilles, de tiges, de racines, de graines, etc...
5 : Sous cette couche de limon, l'argile gris - bleu, à cailloux de quartzophyllades caractéristiques du sol des Fagnes formait le fond de la cuvette imperméable.
Ajoutons que le niveau de l'argile remontait vers le centre pour former comme un flot.
Enfin, traversant toutes les couches énumérées, des pilotis, les uns très gros, les autres plus petits (15 à 30 cm) de diamètre ont été trouvés, enfoncés dans l'argile du fond et consolidés par des pierres solidement imbriquées.

Sur les dessins annexés (figure 2 et 3), on remarque, surtout au premier niveau de bois, une espèce de passerelle (A), formée d'un demi - tronc de chêne, obtenu par éclatement. Longue de 7 m , large de 50 à 60 cm, cette « passerelle » repose d'un côté sur un échafaudage de madriers transversaux et de pilotis assez bien conservés (vers le bord du remblai). Vers l'intérieur du vivier, une des grosses branches de l'arbre lui-même, insérée presque à angle droit sur le tronc, repose sur le fond d'argile et forme à la passerelle un support extrêmement solide, fortifié lui-même de deux gros pilotis, enfoncés dans l'argile et entre lesquels se trouve enchâssé un énorme coin de bois, grossièrement taillé en trapèze.

Figure 2 :
Plan d'ensemble avec coupes suivant A B et C D, du vivier « Léon Fredericq ». les pointillés marquent l'enceinte du vivier. Remarquer à droite, c'est-à-dire en amont, l'échancrure d'amenée d'eau et à gauche, ou en aval, l'ouverture assurant l'évacuation des eaux.
A ce niveau, nous avons trouvé plusieurs débris plus ou moins considérables de « passerelles » analogues (cinq), rongées par l'incendie et reposent toutes sur pilotis. On peut donc avec la plus grande vraisemblance, croire que toutes ces « passerelles », longues et très solidement fixées, constituaient comme l'assiette d'un plancher de cabane.
A ce même niveau, nous avons trouvé presque partout des languettes d'écorce blanche, entrelacées comme pour former un revêtement.
Le deuxième étage de troncs paraît être un effondrement du plancher de la cabane ; nous y avons trouvé notamment les restes d'une « passerelle » analogue à celle que nous avons décrite.
Les grandes plaques de mousses, admirablement conservées et trouvées sous les débris de bois ne constituaient-elles pas vraisemblablement le toit de cette construction ?
Tout ce qui reste de cet échafaudage : troncs fendus longitudinalement, poutres à peine équarries troncs entiers portant encore leur écorce, pilotis formés non pas de pieux taillés en pointe mais de grosses branches ou de troncs dont les extrémités irrégulières, arrachées plutôt que façonnées, portant toutes la marque du feu, enfoncés dans l'argile et maintenus à l'aide de pierres, tout cela indique une facture tellement primitive, tellement grossière que l'on pourrait croire, à la première vue de ces ruines, à un simple amas naturel d'arbres comme il s'en trouve souvent dans la tourbe.
Plusieurs troncs (bouleaux notamment) avaient été arrachés avec une partie de la souche. Les chênes avaient été fendus par éclatement, aucun ne porte la trace de coups de hache.
Ce travail est l'oeuvre d'individus ne disposant que d'un matériel instrumental précaire.
On ne trouve rien qui ressemble, par exemple, à une planche plus ou moins grossière, obtenue par une hache moderne.
Incontestablement cependant, les débris portent la trace d'une intervention humaine ; les pilotis suffisent à eux seuls pour en donner la preuve ; et aussi la régularité dans la disposition transversale des troncs. Nous sommes donc en présence des ruines d'une construction, vraisemblablement d'une cabane effondrée.
Toutes les essences existant dans la forêt (chêne, hêtre, bouleau,...) ont servi à l'édification de la cabane. Nous publierons prochainement les résultats de l'étude botanique des matériaux, bois, tourbe, etc..., prélevés aux différents niveaux. Nous dirons simplement ici que, dans les débris végétaux bruns, trouvés au fond du vivier, nous avons reconnu une grande Monocotylée aquatique, à nombreuses petites graines rouge - noir, très brillantes et que nous avons retrouvée partout, sur les Fagnes du plateau, dans le niveau inférieur de la tourbe formée au bord des eaux courantes (tourbe des bords de la Helle, de la Roer).

Jusqu'à présent, aucun objet, silex, céramique, poterie, métal, os ou débris animaux, ne nous a apporté un élément qui permit de dater les viviers de la Fagne de la Baraque Michel.
Nous savons avec certitude que :
1° Il existe sur les versants du haut plateau des ruines témoignant de travaux incontestablement humains, remparts circulaires de pierre et d'argile, à l'intérieur desquels s'élevaient des constructions en bois, édifiées sur pilotis.
2° La quantité énorme de viviers aussi bien que celle des bois qu'on trouve à l'intérieur indique une organisation considérable.
3° La facture des cabanes est très primitive : arbres éclatés au coin, poutres grossièrement équarries, à extrémités mi-taillées, mi-brûlées, pilotis dont les extrémités enfoncées dans le sol sont à cassure irrégulière et n'ont pas été taillées en pointe.
4° Les remparts de pierre et d'argile ont été établis sur le sol argileux même de la Fagne ; il n'y a pas interposition de tourbe entre l'argile de base et le rempart.

Figure 3 :
Structure détaillée des vestiges mis à jour au centre du vivier. Remarquer notamment les « passerelles » A que soutiennent les pilotis a-1, a-2, a-3, constituant ainsi comme le plancher d'une cabane effondrée.



Planche Xhoffraix - 149E0253 - 5020253

N°253b (V)
Repérage approximatif. La palynologie de la tourbe a été étudiée par Jacqueline Sauvage, dans un sondage profond de 3m50 et situé à l'ouest de la route Eupen --Malmédy près de la station biologique de l'Université de Liège, à Robertville (Tourbière du Mont Rigi).
(cfr. Mémoire n°12 du Service de la Carte géologique d'Alsace et de Lorraine, pages 14 et 15 - Strasbourg 1954).

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