088W0561.TXT
PL. BRUXELLES 88 W. SERVICE GEOLOGIQUE
M. MOURLON DE BELGIQUE
561 (VI) Extrait du Bull. de la Soc.belge de Géol., de
Paléontol. & d'Hydr. t.XXII,1908.Pp.327-333 (procès-
verbaux)
"Sur la découverte de l'Elephas antiquus au Kattepoel,
à Schaerbeek lez-Bruxelles, dans un dépot rapporté au
Quaternaire moséen".
Le lieu dit "Kattepoel", situé sur le territoire
de la commune de Schaerbeek, au Nord-Est de Bruxelles,
entre la vallée de Josaphat et le cimetière de
Saint-Josse-ten-Noode, est connu depuis longtemps des
naturalistes et des géologues.
Déjà à la séance du 6 octobre 1867 de la Société
malacologique de Belgique, le Secrétaire, M.Colbeau,
rendant compte d'une excursion qu'il fit, le mois
précédent, en compagnie de MM.Lambotte et Staes,
annonce avoir recueilli au "Kattepoel" un assez grand
nombre de Succinea sub-fossiles, ainsi que quelques Helix.
Ces derniers lui paraissent bien se rapporter à
l'H.hispida, espèce vivant encore aujourd'hui aux
mêmes endroits; les Succinea, ajoute-t-il,
appartiennent à deux espèces: l'une, la S.oblonga,
vivant encore actuellement chez nous, et une autre
espèce qu'il dit ne pas connaître à l'état vivant et
pour laquelle il propose le nom de S.antiqua
Il dit aussi en avoir recueilli avec M.de Malzine,
au même endroit, le 5 novembre 1862, et en précise
très nettement le gigement dans une couche
d'environ 0.50m. d'épaisseur, formée de limon et
de cailloux roulés, avec débris de coquilles et
dents de squales qui ne sont autres que les éléments
roulés et remaniés de la base du Laekenien reposant
sur le Bruxellien, le tout surmonté de limon
hesbayen (1).
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(1) Ann. de la Soc.malacol.de Belgique,t.II,1866-67,
Bull.p.XCIII
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On verra plus loin que les coquilles terrestres,
dont l'importance stratigraphique n'avait point
échappé à l'attention de nos anciens naturalistes, il
y a près de cinquante ans, ont été retrouvées par nous,
en place, dans des conditions identiques et précisément
au niveau de l'Elephas antiquus, comme le montre la
coupe ci-après de la paroi méridionale de la grande
sablière du "Kattepoel" exploitée par M.Abeloos, et
relevée par nous de juillet à novembre 1908.
Coupe de la grande sablière du Kattepoel à
Schaerbeek-lez-Bruxelles.
QUATERNAIRE BRABANTIEN (q3n)
1*. Limon jaune brunâtre tacheté de gris blanchâtre
(terre à briques) 1.70
2*. Limon jaune rougeâtre, friable, présentant à la
partie supérieure, une alternance de bandes limo-
neuses foncées et de bandes pâles qui lui donnent
une apparence stratoide 1.40
3*. Niveau de fragments de silex, de petits cailloux
roulés et de poupées calcaires.
QUATERNAIRE HESBAYEN (q3m):
4*. Limon fin jaunâtre, calcarifère, friable, avec
points blancs et poupées calcaires, tranchant sur
le limon 2 par sa teinte plus pâle, variant de
0.80m. à 1.30
QUATERNAIRE MOSEEN (qlm):
5. Cailloux roulés avec dépot limono-sableux renfermant
des ossements de mammifères et des coquilles
terrestres 2.00
5'*. Niveau supérieur caillouteux, atteignant parfois
une épaisseur de 50 à 60 centimètres.
5"*. Limon jaunâtre, parfois grisâtre, avec quelques
petites concrétions calcaires, et parfois aussi
bigarré, interstratifié de sable, lequel semble
dominer en de certains points de la partie
orientale de la coupe.
C'est le niveau des coquilles terrestres (Pupa
muscorum, Helix hispida) et des ossements de
mammifères (X) recueillis jusqu'ici en quatre
points de la coupe, à savoir: en X' et X", bois
de cerf et Rhinoceros sp?. En X'" une mâchoire
presque entière d'Elephas antiquus, dent d'Equus
sp.? etc., et en XIV, d'après l'ouvrier, un crâne
et un maxillaire de Bos taurus d'aspect plus
récent et qui pourraient bien ne pas être en place (1).
(Ossements transférés au Musée royal d'Histoire
Naturelle, en mars 1916).
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(1) En décembre 1908, M.Delheid m'assure que ces
ossements de "Bos taurus" ont été recueillis par
lui avec d'autres dans la petite sablière, no 560
et que c'est par fraude que l'ouvrier me les a mal
renseignés.
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5'". Niveau inférieur caillouteux au contact duquel se
trouvent, entre les deux poches de sable
bruxellien 9 et 9', à l'extrémité occidentale de
la coupe, des blocs de grès laekeniens remaniés,
perforés et pétris de Nummulites loevigata roulées.
EOCENE MOYEN LEDIEN (Le):
6*. Sable jaune brunâtre graveleux avec quelques frag-
ments de concrétions ferrugineuses 0.40
EOCENE MOYEN LAEKENIEN (Lk):
7*. Sable gris verdâtre pâle, traversé de bandes jaune
rougeâtre à tubulations, provenant de la
décalcification des sables et grès calcaires qui
s'observent sur leur prolongement au Nord dans la
même sablière, variant de 2mètres à 3.20
8*. Gravier à grains laiteux et translucides dans une
bande de sable jaune rougeâtre et pétri de
Nummulites loevigata roulées, bien visibles tout le
long de la paroi septentrionale de la sablière 0.10
EOCENE MOYEN BRUXELLIEN(B):
Bd. 9*. Sable siliceux d'un beau blanc, formant des poches
dont la plus importante atteint une épaisseur de
4 mètres.
Cette dernière présente, à sa partie supérieure, de
petites strates d'aspect verdâtre, et quelques
rares concrétions, dont une assez volumineuse
offrant un curieux exemple d'érosion paraissant
avoir eu pour effet de la déchiqueter en fragments
triangulaires auxquels se rapporte peut-être une
curieuse pièce en grès lustré, rappelant un peu
une hache polie et provenant de la même poche.
9'. Poche de sable quartzeux différant de celui de 9
par sa teinte plus foncée.
Bc? 10. Sable blanchâtre, de teinte plus foncée que 9, avec
grès le plus souvent effrités et plus rarement en
moellons, paraissant être le résultat d'une
décalcification incomplète 6.00
En f s'observe un grès passant à un conglomérat
coquillier dans un sable rude et pétri de gasté-
ropodes parmi lesquels domine la Rostellaria
ampla.
Bc. 11. Sable et grès calcarifères sous la forme de
moellons à Nautilus Lamarcki.
Les roches no 11 ont pu, grâce à un déblai
pratiqué sous le plancher de la sablière, être
traversées sur près de 3.00
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Total 19.10 ?
Comme on le voit par la coupe qui précède, les
ossements de mammifères et, en particulier, ceux de
l'Elephas antiquus (X''') tout près desquels nous avons
recueilli les coquilles terrestres mentionnées
ci-dessus, se trouvent bien dans les couches limono-
sableuses et caillouteuses rapportées au Quaternaire
moséen.
C'est la confirmation de ce que nous avancions,
il y a près de vingt ans, en annonçant la découverte,
a Ixelles lez Bruxelles, d'un ossuaire de mammifères
antérieur au diluvium (1) et constituant un nouvel
horizon géologique correspondant, si pas au Forest-Bed
d'Angleterre avec lequel il présente certains traits
de ressemblance, tout au moins à notre période
quaternaire la plus ancienne ou moséenne.
Depuis cette époque, il a été établi, principale-
ment par les belles recherches de notre savant
collègue M.A.Rutot, que lorsque les couches analogues
à celles qui viennent de fournir les ossements de
mammifères au "Kattepoel" et qui s'observent à la base
des limons quaternaires se trouvent à une altitude
variant de 30 à 65 mètres au-dessus de l'étiage du
cours d'eau important le plus proche, elles doivent
être considérées comme se rapportant, non plus au
Campinien limité aux bas niveaux, mais bien au Moséen.
Or, c'est précisément ce que vient démontrer la
découverte de la faune à Elephas antiquus en un point
des environs de Bruxelles qui se trouve à 45 mètres
au-dessus du niveau d'eau actuel de la vallée de la
Senne.
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(1) Bull. de l'Acad.roy. de Belgique, 3e sér.t.XVII,
no 3,pp.131-151, avec coupe et figures, séance du 2
mars 1889.
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Il nous reste maintenant à faire connaître les
circonstances dans lesquelles se fit cette découverte.
Ayant été amené depuis quelque temps déjà, à poursuivre
nos études stratigraphiques dans la région de
Schaerbeek qui semble avoir été quelque peu délaissée
par les géologues durant ces dernières années, nous
fîmes la découverte, dans la grande sablière du
"Kattepoel", d'un superbe gisement de fossiles
bruxelliens parmi lesquels abondait surtout la
Rostellaria ampla. Après en avoir fait une ample
moisson pour le Service géologique, nous en signalâmes
l'existence à l'un de nos plus vaillants chercheurs à
qui la science est redevable de tant de précieux
documents, nous avons nommé notre collégue M.Delheid.
Celui-ci s'étant rendu de suite à la sablière, fut
prévenu par l'ouvrier que des ossements venaient
d'être mis à nu. Il ne tarda pas à en obtenir un
certain nombre parmi lesquels il reconnut plusieurs
dents d'éléphant qu'il crut pouvoir être rapportées
au Mammouth et dont il fit généreusement don au Service
géologique.
Nous nous rendimes immédiatement ensemble sur les
lieux et, grace aux indications d'ouvriers terrassiers
qui effectuaient un important déblai à la partie
supérieure de la sablière, nous pûmes y constater
la présence d'ossements en quatre points différents du
diluvium de la base du Quaternaire. Seulement, comme
ce diluvium se trouve à plus de 40 mètres au-dessus du
niveau de la Senne, il en résultait, comme il est dit
plus haut, qu'il devait se rapporter au Moséen et non
pas au Campinien caractérisé par la présence du
Mammouth.
C'est ce que montra l'examen que voulut bien faire
des ossements notre collègue M.De Pauw. Ce distingué
spécialiste reconnut de suite que l'on était en
présence d'une mâchoire presque complète d'Eléphant,
qui n'était certainement pas l'E.primigenius ou
Mammouth, mais bien l'Eléphant de petite taille dont
une partie du squelette, provenant d'Hoboken, figure
dans notre Musée royal d'Histoire naturelle sous le
nom d'Elephas antiquus(1).
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(1) C'est en 1870 que fut exécuté le montage de cette
pièce, alors unique pour le pays, et M.De Pauw, qui
était à cette époque préparateur de la Section des
Vertébrés fossiles au Musée, nous a rappelé qu'il
semble bien établi maintenant que le nom
d'E.antiquus doit être réservé à un individu de
grande taille découvert à l'état fossile dans le
Midi de la France et que l'Eléphant d'Hoboken, de
même que celui du "Kattepoel", devait appartenir à
une autre espèce, ce que M.Rutot a confirmé en
séance, à l'issue de notre communication, en
ajoutant que cette espèce est l'E.trogonthéri.
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C'est ce que confirme M.Rutot qui eut l'occasion
de les examiner et de reconnaître, sur place, le bien
fondé de notre interprétation du gisement des dits
ossements.
Il semble donc permis, dès lors, de considérer
la question du Quaternaire moséen comme étant résolue,
tout au moins pour les environs de Bruxelles.
DISCUSSION.
M.Paul Jacques présente, à l'occasion de la
communication de M.Mourlon, quelques observations au
sujet des dépots quaternaires qu'il vient d'observer
en compagnie de M.Ch.Camerman, dans une grande tranchée
de la ligne en construction de Schaerbeek à Hal, située
entre la vallée de Josaphat et la chaussée de Haecht.
Cette tranchée montre, au-dessus des assises tertiaires,
un épais dépot formé de sables grossiers, de
cailloux et d'argile un peu tourbeuse. Ne tenant pas
compte du niveau élevé, 50 mètres environs au-dessus
des eaux de la Senne, où s'observe ce dépot, ce qui le
fait ranger maintenant dans le Quaternaire moséen(ql),
mais seulement des analogies lithologiques qu'il croit
y trouver avec le Quaternaire campinien, M.Jacques est
porté à l'assimiler à ce dernier, étant donné surtout que
M. Rutot renseigne dans la région l'existence du
Campinien sur la Carte géologique publiée en 1893.
M.Rutot dit que M.Mourlon l'ayant invité à
visiter la nouvelle coupe du "Kattepoel", il y a vu ce
que montre le tracé que vient de présenter le directeur
du Service géologique.
Sous de la terre à briques de décalcification, le
limon brabantien, apparait, puis vient un faible
cailloutis de galets de silex brisés, sous lequel
s'étend le limon hesbayen.
Sous le Hesbayen, nouveau gravier plus apparent,
puis se montre le Moséen avec son allure ravinante
habituelle et son épais cailloutis de base. Les
ossements se trouvaient bien dans le Moséen, dans la
partie limoneuse grisâtre du haut qui représente la
glaise.
M.Rutot a pu voir au Service géologique les restes
d'Eléphant dont a parlé M.Mourlon.
Ayant été obligé, pour ses propres études, de
connaître les caractères différentiels des divers
Eléphants, M.Rutot a très bien pu remarquer qu'il
n'était pas question du Mammouth, mais d'une forme à
dents d'Elephas antiquus, de taille plus petite que le
véritable antiquus, semblable à celles du spécimen
trouvé jadis à Hoboken, près d'Anvers, et dont M. le
baron van Ertborn a très bien décrit le gisement.
Ce spécimen, examiné par plusieurs spécialistes, a
été reconnu comme appartenant à l'Elephas trogontheri,
sorte de forme naine de l'Elephas antiquus.
Pour ce qui est de la question soulevée par
M.Jacques, M.Rutot dit qu'on ne peut le mettre en
opposition avec ce qu'il a écrit jadis, attendu que,
continuant toujours ses recherches, il admet les
résultats qui lui sont fournis par ses dernières
observations, qu'elles concordent ou non avec celles,
moins importantes et moins complètes, qu'il a pu faire
précédemment.
Depuis 1900, toutes les observations n'ont fait
que confirmer ses vues relatives au Moséen, et des
preuves de l'autonomie du Moséen et du Campinien
résident dans le fait que, sur la basse terrasse de nos
vallées, on peut voir distinctement le Campinien
reposer sur le Moséen, tous deux très bien développés.
En revanche, on ne voit jamais que le Moséen seul
sur la moyenne terrasse; le Campinien, en Belgique,
n'y est jamais parvenu
Evidemment, le Moséen étant formé d'un ensemble de
dépots fluviaux, le Campinien qui a la même origine,
est composé, à peu près, des mêmes éléments; de sorte
que, sur la basse terrasse, lorsqu'il n'existe qu'une
seule des deux assises, il n'est pas toujours facile
d'en déterminer l'âge; mais lorsque les deux dépots
existent superposés, le doute n'est plus permis.
Dans le cas d'un seul dépot, le mieux est de s'en
rapporter aux fossiles, lorsqu'il y en a, car on sait
précisément que, en Belgique, le Moséen est caractérisé
par l'Elephas trogontheri et par le Rhinoceros Merki,
tandis que le Campinien ne renferme guère que la faune
du Mammouth.
D'après les cotes citées par M.Mourlon, pour la
coupe du "Kattepoel", il est évident que le dépot du
Quaternaire inférieur aux limons se trouve bien à plus
de 30 mètres au-dessus du niveau actuel des eaux de la
Senne; ce dépot à Elephas trogonthéri se trouve donc
sur la moyenne terrasse, et dès lors, de par la
stratigraphie et de par la paléontologie, ce dépôt est
bien du Moséen typique.