PL.TAMISE 42E Service géologique
M.Mourlon de Belgique
3 M.Mourlon.-Bulletin de l'Académie royale de Belgique.
(Classe des sciences). No 4,avril 1906, pp.227-232.
Résultats scientifiques de la rupture d'une digue de
l'Escaut près de Thielrode, sur le territoire de Tamise
(1). (7)
La marée extraordinaire du 12 mars de cette année, 1906
a produit de tels désastres dans le bassin de l'Escaut
que l'on serait presque tenté de se demander si elle
ne fournit pas l'indice de quelque nouvelle phase
géologique succédant à celles que notre savant collègue
M. Rutot, a décrites et figurées par de saisissants
panneaux qui ont été fort remarqués jadis à la Section
des sciences de l'Exposition de Bruxelles, en 1897, et
qui sont bien mis en évidence aujourd'hui dans l'une
des salles du Service géologique, au Palais du
Cinquantenaire.
Ils montrent, d'après la géologie et l'histoire, la
région couverte par la mer,tout le long du littoral
belge:
1. A l'époque de la conquête des Gaules par Jules César
30 ans avant J.-C. (Epoque des tourbières.)
2. Vers la fin du IVe siècle. (Immersion maximum de la
plaine maritime sous les eaux de la mer.)
3. Vers l'an 1000. (Immersion ne différant pas
sensiblement de ce qu'elle est aujourd'hui.)
4. Vers l'an 1250. (Nouvelle immersion s'étendant
jusque près de Bruges.)
Ces différentes phases par où notre littoral a passé
durant la période historique correspondent à la
succession des couches relativement récentes de tourbe,
de sables et d'argiles poldériennes, telle qu'elle
résulte de nos levés et qu'elle se trouve consignée
dans la légende de nos cartes sur lesquelles chaque
groupe de ces couches modernes est délimité par une
teinte spéciale.
C'est ainsi que pour ce qui concerne la partie des
levés de la Basse-Belgique qui m'incombèrent
personnellement, j'ai été amené à montrer, par de
nombreux sondages, que les dépots de la plaine
maritime se sont étendus sous les alluvions modernes,
jusque près de l'embouchure de la Durme et de
l'Escaut. Or c'est précisément à peu de distance au
Nord-Est de la limite occidentale de ces dépots, dans
cette direction, et par conséquent en plein dans
ceux-ci, si mes levés sont exacts, que s'est produite
la rupture de la digue dont les résultats font l'objet
de la présente communication.
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(1) Bull. de l'Acad. roy. de Belgique (Classe des
sciences), no 4, pp.227-232, 1906.
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Si l'action dévastatrice de la crue de l'Escaut a été
horriblement néfaste pour les malheureux riverains et
souvent ruineuse pour les détenteurs de ces fécondes
terres d'alluvion recouvertes à présent d'un dépot
d'inondation qui n'a rien de commun avec ceux si fertiles
provenant des débordements périodiques tant désirés de
certains fleuves, tels que le Nil, par exemple, elle
aura permis, au moins, d'enregistrer quelques faits
nouveaux. D'après ce que m'a affirmé un témoin
oculaire, c'est dans la soirée du 12 mars, vers 5
heures de l'après-midi, que les eaux ont commencé à
déferler au-dessus de la digue sur environ trois quarts
de lieue de longueur; habituellement elles montent de
5 mètres à chaque marée, mais ce jour-là ce fut de 7
mètres.
A un moment donné, les eaux ont traversé la digue en se
creusant une conduite circulaire dirigée un peu
obliquement de bas en haut.
Celle-ci, ayant commencé avec les dimensions d'une
galerie de taupinière, finit, en s'agrandissant, par
occasionner, dans la nuit du 12 au 13, la rupture de la
digue, d'abord sur une vingtaine de mètres, puis sur
une longueur plus grande à chaque marée, pour atteindre
finalement près de 100 mètres.
C'est ainsi que l'écluse la plus au sud de la
wateringue ou polder appelé "den Esch", construite en
1806, et dont la partie du coté de l'Escaut avait seule
été emportée, ne disparut complètement que le 7 avril
à 5 heures du soir.
Les eaux, en se précipitant par la brèche, creusèrent
un gouffre d'au moins 15 mètres de profondeur, et cela
sur une étendue d'environ un demi-hectare, en amenant
à la surface des documents d'un véritable intérêt
scientifique.
Ce sont principalement d'énormes amas de tourbe ainsi
que des sables et des ossements qui ont été lancés de
l'intérieur du gouffre jusqu'à 25 mètres au delà de la
digue, vers l'intérieur du polder, sur les prairies
appartenant à M. de Kerchove-Lippens.
Lors de ma première visite, le 29 mars, c'était à
marée basse, et l'on voyait émerger en maints endroits
les amas de tourbe qui, à distance, donnaient
l'impression d'énormes pachydermes dont la partie
dorsale se fut élevée au-dessus des eaux.
Cette tourbe est précisément celle dont l'existence est
renseignée sur ma feuille de Saint-Nicolas-Tamise
comme atteignant parfois plus de 3 mètres d'épaisseur
et comme étant du même âge que celle du temps de César
qui atteint fréquemment 5 mètres d'épaisseur sur le
littoral et y est recouverte de sables et d'argiles
des polders, dont l'existence se trouve également
décelée par mes sondags sur la feuille en question.
Mais le fait le plus intéressant, c'est que parmi les
ossements dont il vient d'être fait mention, se
trouvent des débris de Mammouth, venant ainsi
confirmer ce qu'avait annoncé un journal de la capitale
(1) dans un articulet auquel je dois d'avoir eu
l'attention appelée sur cette importante découverte et
de m'être rendu sur les lieux en compagnie de
M.G. Willemsen, le distingué président du Cercle
archéologique du Pays de Waes.
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(1) Le soir du 24 mars 1906.
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Ce digne émule de feu le Dr Van Raemdonck, de
Saint-Nicolas,et l'auteur de travaux historiques ainsi
que d'une étude en collaboration avec M.L. De Pauw,
intitulée: La sépulture néolithique de la Tête de
Flandre (2), voulut bien me mettre en rapport avec un
industriel de Thielrode, M. Victor Lapage, chez qui se
trouvent les ossements sauvés par lui d'une
destruction certaine.
Ces ossements sont dans un parfait état de conservation
et ne constituent pas, comme on l'avait annoncé, un
squelette de Mammouth, mais un véritable ossuaire dans
lequel M. De Pauw, dont le nom est si intimement lié à
toutes les découvertes et restaurations de nos
vertébrés fossiles, a reconnu les représentants de
plusieurs espèces de mammifères dont voici le relevé:
Elephas primigenius ou Mammouth, représenté par la
partie antérieure d'une mâchoire inférieure, une tête
d'humérus et l'opophyse épineuse de la première
vertèbre dorsale;
Rhinoceros tichorinus, avec une côte droite, une
omoplate gauche, moitié du bassin coté droit; la
largeur de l'ilion est de 0m55 et la hauteur de
l'ilion à l'ischion est de 0m67;
Equus caballus, représenté par deux côtes et un
métacarpien droit.
Il est bien certain que ces débris fossiles ne
représentent qu'une infime partie de l'ossuaire dont il
est à espérer que l'on trouvera le complément lorsque
les eaux se seront retirées. Mais, quoi qu'il en soit,
ce que l'on en possède suffit pour mettre hors de
doute que le terrain quaternaire campinien caractérisé
par la faune du Mammouth se trouve in situ en
profondeur.
Or la Carte géologique montre que sous la tourbe, qui
est surmontée parfois d'une argile que j'ai assimilée
à l'argile des polders (alp1), se trouve le sable
quaternaire flandrien dont le gravier de base ne
saurait, en aucun cas, être considéré comme le
gisement des ossements de l'âge du Mammouth, puisqu'il
faudrait pour cela que ceux-ci eussent été enlevés à
des dépots plus anciens, ce que leur bon état de
conservation ne permet pas de supposer, étant donné
qi'ils ne sont pas roulés et que la cote assez fragile
du Rhinocéros est à arêtes vives.
Mais un sondage que je fis pratiquer en 1894 et qui se
trouve renseigné, sur la Carte, à l'est de Thielrode,
sur la rive droite de l'Escaut, et un peu au sud de
Rupelmonde, au hameau de Wintham (voir No 4), a rencontré, sous
6 mètres de sable flandrien (q4), une couche assez
épaisse de sable quartzeux, grossier, graveleux,
légèrement glauconifère, avec petits caillous
disséminés dans la masse et qui m'a toujours vivement
préoccupé.
Elle sépare le sable tertiaire oligocène rupelien
sousjacent du sable flandrien dont elle a été
considérée, jusqu'ici, comme constituant le gravier de
base (q4m), alors que c'est la seule couche d'où
peuvent provenir les ossements qui permettent ainsi de
lui assigner son véritable âge géologique en la
classant dans le Quaternaire inférieur campinien (q2m).
Il est à remarquer, du reste, que l'on retrouve encore
dans les interstices des fractures de quelques
ossements, des grins de sable, très quartzeux, et de
petits cailloux identiques à ceux de la couche en
question.
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(2) Annales du Cercle archéologique du Pays de Waes,
t. XXIII, livr.1.
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Ainsi donc se trouve bien établi que la rupture de la
digue de l'Escaut, près de Thielrode, a donné
naissance, par l'affouillement des couches tourbeuses,
sableuses et à ossements du fond de la vallée, à un de
ces gouffres désignés dans le pays sous le nom de
"wiel", ou roue comme il s'en est formé en plus d'un
endroit, m'assure-t-on, et notamment à Moerseke, près
de Termonde, où la cavité creusée a atteint une
profondeur encore plus considérable, évaluée à 17
mètres.
Les couches provenant de ces gouffres, qui forment
maintenant un nouveau dépot à la surface des prairies
avoisinantes et qu'il faudra distinguer, par la suite,
sur la Carte, des couches en place, ont fourni par le
dernier formé, du polder "den Esch", qui vient
d'occasionner un déplacement de terrain évalué à
55,000 mètres cubes, une donnée scientifique nouvelle
en démontrant l'existence, non encore précisée dans la
région, des dépots de l'âge du Mammouth, tout en
montrant le bien fondé de l'interprétation des levés
de la Carte renseignant dans la même région le
prolongement des dépôts de notre plaine maritime.
Voir aussi la note insérée dans le Bulletin de la
Société belge de géologie. Bruxelles,1906,t.XX,pp.
90-95.